И далее, слово вертеп заменить словом притон…
Иду сейчас в Кремль поклониться русскому народу, этому, как и следует, в его минуты вдохновения, великому бессознательному поэту. Вам душевно преданный Ф. Тютчев
8 августа 1863
Moscou. Jeudi. 8 août 1863
C’est à vous, ma fille chérie, que s’adressent ces lignes qui, je l’espère, vous parviendront p<our> le 15. Sachez, que j’aurais beaucoup donné pour être, ce jour-là, avec vous… Vous me manquez, l’une et l’autre, plus que je ne puis le dire.
Ce matin je suis allé au Kremlin pour assister à la sortie de l’Empereur. Il fait aujourd’hui un temps magnifique. Un ciel bleu, un soleil splendide. — L’accueil fait par le peuple à l’Empereur a été à l’avenant. Que n’étais-tu là, avec moi, ma fille chérie, vous auriez dûment apprécié cette belle journée.
Hier, on a reçu ici de Wilna une nouvelle des plus significatives. Voici ce que c’est. Une députation des paysans du Royaume de Pologne s’est rendue auprès de Мих<аил> Ник<олаевич> Муравьев pour le prier de vouloir bien les prendre sous sa protection, — disant qu’ils ne pouvaient pas compter sur celle des autorités de Varsovie. La députation devait se composer de deux mille personnes, et ce n’est qu’à la demande de Mour<avieff> qu’elle a été réduite à vingt. — Quelle révélation et quelle leçon! — Hier, à dîner chez Катков, on m’a assuré qu’on avait eu la nouvelle que l’assassin de Domeiko à Wilna a été arrêté et déjà pendu. — Il paraît que décidément à Wilna la crise s’est faite et que même la majeure partie de la société polonaise est en pleine réaction contre les terroristes… C’est lundi dernier, le 5, que les notes ont dû être remises à Gortch<akoff>. — Mais maintenant tout cela n’a plus qu’un intérêt de curiosité. — La coalition est p<our> le moment désorganisée — grâce à l’Angleterre. Napoléon III est floué. Il faudra voir ce que le ressentiment de cet échec, le plus grave qu’il ait subi, le portera à faire. — Car il est impossible qu’il se résigne à la situation qui lui est échue, et on peut, selon moi, s’attendre de sa part aux résolutions les plus extrêmes.
Je ne suis pas parvenu à voir Anna à leur passage, attendu que le convoi Imp<érial> n’est pas entré à la gare de Moscou. Anna m’a écrit de Wladimir. Elle me dit dans sa lettre que maintenant, que la voilà réduite à la société intime, elle se fait l’effet d’un naufragé chez quelque peuplade primitive. — On prétend qu’ils ne reviendront qu’à la fin de novembre. — Moi, je pars demain, très décidément, p<our> Pétersb<ourg>. Ah, que j’aurais mieux aller vers vous, fût-ce même pour rester avec vous jusqu’à l’arrière-automne. — Quant à ma pauvre mère, qui est plus folle que jamais, elle s’est mise en tête qu’on va m’envoyer en Sibérie et que je ne la quitterai que p<our> prendre le chemin de l’exil. Toutes ces extravagances me portent horriblement sur les nerfs. — Ah, du calme, du calme à tout prix. — Que Dieu v<ou>s protège.
Москва. Четверг. 8 августа 1863
Тебе, моя милая дочь, адресованы эти строки, которые, я надеюсь, придут к вам не позже 15-го. Знайте, что я много бы дал, чтобы быть в этот день с вами… Не могу выразить, как я по вас скучаю, и по той и по другой.
Сегодня утром я присутствовал в Кремле при выходе государя. Погода нынче великолепная. Небо синее, солнце ослепительное. — И встреча, устроенная государю народом, не уступала им в яркости. Жаль, что тебя не было там со мной, моя милая дочь, ты бы сумела по достоинству оценить этот прекрасный день.
Вчера здесь было получено из Вильны известие чрезвычайной важности. И вот какое. Депутация крестьян из Царства Польского явилась к Михаилу Николаевичу Муравьеву умолять его, чтобы он согласился взять их под свою защиту, — дескать, на варшавские власти надежды мало. Депутация предполагалась двухтысячная, и только по просьбе Муравьева ограничились двадцатью выборными. — Какое разоблачение и какой урок! — Вчера на обеде у Каткова меня уверяли, будто пришло донесение, что убийца Домейко схвачен и уже повешен. — Судя по всему, перелом в Вильне явно наступил и даже бо́льшая часть польского общества настроена против террористов… В прошлый понедельник, 5-го, Горчакову должны были вручить ноты. — Однако теперь это вызывает только любопытство. — Коалиция в данный момент в полном разброде — благодаря Англии. Наполеон III в дураках. Надо еще будет поглядеть, куда после этого поражения, самого тяжелого из всех, что он потерпел в жизни, заведет его ярость. — Ибо невероятно, чтобы он смирился с положением, в которое попал, и, мне кажется, можно ждать от него любых крайностей.
Мне не удалось повидаться с Анной, бывшей тут проездом, так как императорский поезд не останавливался на московском вокзале. Анна написала мне из Владимира. Она говорит в своем письме, что теперь, когда ее круг общения столь тесен, она чувствует себя жертвой кораблекрушения в окружении горстки аборигенов. — Говорят, они вернутся не ранее конца ноября. — Я же уже точно еду завтра в Петербург. Ах, как бы я хотел покатить вместо этого к вам, пусть даже с условием задержаться у вас до поздней осени. — Что до моей бедной матери, у которой голова плоха, как никогда, то ей втемяшилось, будто меня ссылают в Сибирь и я покидаю ее только затем, чтобы отправиться по этапу. Все эти чудачества страшно действуют мне на нервы. — Ах, покоя я жажду, покоя! — Да хранит вас Господь.
Прошу вас убедительно, почтеннейший Иван Сергеевич, делать с моими виршами что вам угодно — т. е. изменить, поправить и усилить… Спешу, уезжаю сегодня и поручаю себя вашему дружественному расположению. — Когда будете писать к Анне? Вам пред<анный> Ф. Тютчев
P. S. Вместо слова бессмысленной, не лучше ли неистовой?
Pétersbourg. Lundi. 26 août 1863
Merci, ma fille chérie, de votre bonne lettre qui m’a fait grand plaisir. J’espère que celle-ci t’arrivera à point nommé pour te souhaiter la bienvenue à Moscou. — Et moi aussi j’ai ressenti comme une fâcheuse privation ton absence de Moscou pendant les deux mois de séjour que j’y ai fait et qui m’ont laissé un très bon souvenir, un souvenir lumineux en dépit du mauvais temps. J’y ai été témoin de quelque chose, à quoi on ne saurait contester une signification historique. C’est l’accueil fait par l’opinion aux dépêches du P<rinc>e Gortchakoff. — C’est peut-être la toute première fois où la fibre nationale a vibré au contact de la diplomatie russe. Aussi les quelques lignes, que j’ai écrites à la hâte sous le coup même de l’impression, ont-elles eu un sort tout particulier. — Comme s’était le premier bulletin de la victoire remportée, arrivé de Moscou, elles ont été aussitôt communiquées en haut lieu, à l’Impératrice d’abord, qui avait, à ce qu’il paraît, exprimé des doutes sur l’impression que le ton général des dépêches produirait à Moscou. — Puis la lettre ayant été lue par l’Empereur, celui-ci a dit qu’elle aurait dû être communiquée à Mlle Anna, pour l’amener à des sentiments plus favorables au Vice-Chancelier. C’est le P<rinc>e Gortch<akoff> lui-même qui m’a conté cela. — Hier j’ai dîné chez lui à Tsarskoïé et j’ai recueilli des détails très curieux sur ce qui s’y est passé dans ces derniers temps, dans la question Constantin. — L’Empereur, au dire de tout le monde, s’est admirablement conduit dans toute cette affaire. Il a su concilier dans une mesure parfaite sa tendresse très vive pour son frère avec une fermeté à toute épreuve. Aussi on peut considérer le règne malencontreux de celui-ci comme fini. C’est demain, le 27, qu’il quitte Varsovie, avec femme et enfants, et se dirige par Vienne et le Danube en Crimée. Tous ceux qui l’ont vu ici s’accordent à dire qu’il faisait pitié à voir, tant il se sentait écrasé par la défaveur publique. C’est demain aussi que partiront les réponses du P<rinc>e Gortchakoff, très laconiques cette fois, et déclarant la question fermée, sinon décidée. Elles ne tarderont pas à paraître dans les journaux. — L’Empereur s’en va le 31 en Finlande, où il fera le 3 septembre l’ouverture de la Diète. Le 4 il assistera à une grande fête que Mad<ame> Aurore lui donne dans sa maison de campagne, près d’Helsingfors; le 8 il sera de retour à Tsarskoïé et quelques jours après il part p<our> Livadia. — Et ceci me ramène à ce qui est l’objet de mes soucis non moins que des tiens, à notre pauvre chère Daria. Assurément, une fois la cure finie, ce qu’elle aurait de mieux à faire, c’est d’aller rejoindre l’Imp<ératrice> en Crimée — si c’est pour y passer l’hiver, mais cent fois non si c’est pour en revenir au mois de novembre. Mais, alors, que doit-elle faire d’ici dans quelques semaines? Où et comment passera-t-elle l’hiver? Je ne puis songer à cette pauvre chère fille non seulement sans tristesse, mais même sans remords.