Том 6. Письма 1860-1873 - Страница 37


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Георгиевскому А. И., 4 апреля 1866

69. А. И. ГЕОРГИЕВСКОМУ 4 апреля 1866 г. Петербург

Петерб<ург>. 4 апреля 1866

Спешу досказать и выяснить мой вчерашний телеграф. — Говорю не от своего имени, но от имени всех усердных и искренних друзей «Моск<овских> вед<омостей>». Вот как им, здесь, представляется положение дел.

Вследствие предостережения сочувствие огромного большинства на стороне вашей. Мотивированье предостережения всем почти кажется недобросовестным и нелепым. От вас, и от вас одних, зависит решить дело в вашу пользу или расстроить его, — судя по какой дороге вы теперь пойдете. Перед вами их две: или идти напролом — очертя голову и обходя существующий закон — и несколькими взрывами раздражения, впрочем, весьма естественного, вызвать какую-либо катастрофу в существовании «М<осковских> ведомостей». Вот чего желают, чего ждут, на что рассчитывают все их разнородные, но в этом единодушные недруги и недоброжелатели ваши… Или, в полном сознании вашего призвания, вашего огромного значения для общего дела, ваших обязанностей к России, сберечь себя для нее и не выдать противной стороне занимаемой вами позиции, а, напротив, усилив ее, довершить вами начатое, а это вам так легко — при некоторой сдержанности. Вам стоит только, удовлетворив без отлагательства закон, на другой же день продолжать вашу беседу с публикою, как бы не обращая внимания на неуместную, неприличную выходку, которою, со стороны, пытались было перебить вашу умную, добросовестную речь, — но тут же, исподволь, выясняя спокойно и отчетливо, в чем кроется преднамеренное, умышленное malentendu, послужившее поводом к предостережению, а именно: могут ли люди, хотя и влиятельные, хотя и высоко поставленные, но которых мнения явным образом противуречат не только всякому национальному чувству, всякому национальному стремлению, но и положительному направлению всей правительственной системы, — могут ли эти люди, кто бы они ни были, претендовать на правительственный авторитет и на те права и привилегии, которыми закон оградил неприкосновенность правительственной власти? и противодействовать этим людям — значит ли подрывать доверие к правительству? За фактами, для пояснения дела, ходить далеко не для чего, а сгруппировать и осветить надлежащим светом — на это вы большие мастера… Вот, друг мой Алек<сандр> Ив<аныч>, вот что поручено было мне передать М<ихаилу> Н<икифоровичу> от имени всех его здешних искренно преданных, но сильно озабоченных друзей и поклонников.

Ф. Тютчев

Аксаковой А. Ф., 9 апреля 1866

70. А. Ф. АКСАКОВОЙ 9 апреля 1866 г. Петербург

Pétersbourg. Samedi. 9 avril 1866

Ma fille chérie. — Je continue… pour abréger les préliminaires… La grande préoccupation de ces derniers jours c’était la composition de la commission d’enquête, dont le personnel offrait toutes les garanties d’ingénus en fait d’informations, devant aboutir à un résultat sérieux… On était persuadé qu’entre leurs chastes et pudiques mains l’événement du 4 avril prendrait les proportions d’un fait isolé, d’un coup de tête d’un énergumène ne se rattachant à rien, surtout pas au fond de la situation, attendu que le propre de ces braves gens est de ne pas admettre qu’il y ait un fond à quoi que ce fût — toutes ces craintes trop bien fondées ont prévalu et hier toute l’affaire a été remise aux mains de Michel Mouravieff l’inévitable… dura necessitas qui ajoutera encore pour certaines gens à l’odieux de l’attentat. Jusqu’à présent l’assassin est un mythe, conservant toute sa présence d’esprit et même faisant preuve, à l’occasion, d’une sorte d’enjouement railleur, vis-à-vis de ses candides interlocuteurs… Ainsi, sur une question qui lui a été faite relativement à sa criminelle inspiration, il a répondu qu’il la devait à la lecture des écrits de Katkoff, en ajoutant, что он вообще придерживается мнений этого почтенного писателя… On dirait qu’il prend à tâche de justifier l’avertissement, adressé dernièrement p<ar> Mr Valoujeff à la Gaz<ette> de Moscou. La visite de Polissadoff n’a guères mieux réussi auprès de lui. Il a dès le début interrompu ses pieuses exhortations, en lui déclarant que c’était des choses qu’il avait parfaitement sues autrefois, mais qu’il avait depuis longtemps oubliées… En un mot d’après le peu d’indices recueillis jusqu’à présent, sa provenance morale ne fait pas un doute à mes yeux, quelle que puisse être d’ailleurs son origine nationale… C’est un produit plus complètement réussi de la tendance nihiliste qui s’est lassé du rabâchage du parti, et qui, une bonne fois, a voulu essayer de l’action… Ce qui n’empêche pas de supposer qu’il est un émissaire avoué dont l’inspiration personnelle s’est trouvée à la hauteur du mandat qui lui a été confié. On prétend savoir que le jour même de l’attentat trente à quarante individus polonais se sont empressés de quitter Pétersbourg, profitant de l’émotion bien naturelle de la police qui avait oublié de faire garder les barrières. — D’ailleurs les poisons, trouvés sur le coupable, indiqueraient à mon avis que ce ne saurait être un fanatique isolé, ne relevant que de lui-même, qui n’a pas besoin de prendre de pareilles sûretés contre ses propres indiscrétions… En un mot il n’y a jusqu’à présent qu’un bras, sorti du nuage, mais évidemment il tient à quelque chose. Ce qu’il y a de pis, hélas, c’est qu’on n’est pas suffisamment convaincu en haut lieu que ce bras tient surtout à tout un corps de sentiments, d’idées, de doctrines, à tout un monde sans nom que le pouvoir lui-même a longuement couvé sous son aile, comme une candide oie qui couverait un œuf de crocodile. — Je ne mets pas en doute qu’à l’heure qu’il est il n’y a peut-être pas à Pétersb<ourg> d’établissement scolaire, où il ne se trouve un maître, ou deux, ou trois, qui chercheront à faire considérer à quelques-uns de leurs élèves l’homme du 4 avril comme le glorieux martyr d’une sainte et noble cause… Y a-t-il solidarité entre ces gens-là et les personnages officiels, placés au haut de l’échelle administrative?.. De solidarité juridique assurément non, n’en déplaise à Katkoff, mais bien certainement il y a solidarité morale, en le sens que l’indifférentisme, l’absence de foi et de conviction des uns laisse le champ libre à la propagande fanatique des autres. C’est l’irréligion passive faisant la courte échelle à l’irréligion active. — Ah, que ton mari, ma chère Anna, aurait trouvé de belles choses à dire dans les circonstances actuelles et que son silence est fâcheux en ce moment…

Quant à l’affaire Katkoff, voici où elle en est… Depuis longtemps déjà Valoujeff l’Olympien (nommé Périclès) était troublé dans sa sérénité par la brutalité irrévérencieuse de la Gazette de Moscou. Il avait bien essayé de quelques froncements de sourcils, mais qui n’avaient pas aboutis. — Enfin je ne sais quelle goutte imperceptible a fait déborder le vase de sa colère, et à propos d’un article qui n’était qu’une centième redite, il a, contrairement à l’avis de tout le Conseil moins deux voix, lancé son premier avertissement. Il ne faudrait pas croire toutefois que c’est aux doctrines, à la politique de Katkoff qu’il s’attaquait… il ne se serait pas abaissé jusque-là — non, c’était plutôt un Sultan, un Padischah qui sortait de son majestueux repos p<our> aller réprimer un vassal trop turbulent… Mais malheureusement il avait compté sans son hôte, il n’avait pas compté sur une rebellion ouverte, refus d’insérer l’avertissement et rude coup de bâton, assené sur la main qui s’étendait pour l’imposer. En vue d’un pareil outrage, d’un pareil attentat à leur autorité officielle, mes collègues du Conseil n’y tinrent plus, et dans la dernière séance ils s’emportèrent jusqu’à proposer un second avertissement. C’était précisément le 4 avril — l’incident de ce jour a tout à coup arrêté comme de raison toute cette ébullition, et force a été de reconnaître même aux plus stupides d’entre nous qu’il y aurait mauvaise grâce à s’attaquer à la G<azette> de Moscou dans un pareil moment… Il y avait tout un aveu dans cette abstention, mais qui ne sera pas compris de ceux-là même à qui la force des choses vient de l’arracher. Je ne manquerai pas de vous tenir au courant de ce qui succédera… En attendant, mille amitiés à ton cher, bien cher mari, auquel je ne manquerai pas d’écrire directement le résultat de la démarche qu’il m’a chargé de faire. — Mais quant à la Revue, pourquoi ne s’adresse-t-il pas à quelque libraire de Moscou? — Adieu ma fille chérie, et bientôt au revoir.

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