Вам, с особенным уважением, душевно преданный
Ф. Тютчев
Pétersbourg. Dimanche. 10 9
Ma fille chérie, ce n’est que par ta lettre à la C<om>tesse A<ntoinette> Bloudoff que j’ai appris que tu as été malade, et bien que tu dises dans cette lettre que maintenant tu vas mieux, cette assurance m’aurait médiocrement rassuré, si l’ami Щебальск<ий> n’était venu ce matin me donner de tes nouvelles à titre de témoin oculaire. C’est pourtant quelque chose de bien triste et de bien déplorable, qu’une santé comme la tienne, je devrais dire comme la vôtre! — Il y a eu plus d’une bonne fée à votre berceau, mais, évidemment, celle de la santé était occupée ailleurs.
Les lignes que je t’écris là coïncideront, je suppose, avec l’arrivée d’Anna à Moscou. Si vous parvenez à vous voir, je vous charge de vous embrasser mutuellement de ma part. Je me réjouis beaucoup du retour d’Anna. Elle me manquait, bien que sa présence la plupart du temps soit si peu réelle p<our> moi. C’est un peu l’histoire de cet homme qui avait pris l’habitude de fumer sa pipe une fois par semaine, les samedis, je crois, et qui prétendait être tellement dominé par cette habitude qu’il lui aurait été impossible d’y renoncer.
Ici nous sommes plus que jamais sous le coup de la grande préoccupation générale, le congrès. Le moment est des plus solennels. C’est le va-banque de Napoléon vis-à-vis de l’Europe. Il devrait perdre à coup sûr, si la misérable Europe n’était pas ce qu’elle est. — La lettre de l’Emp<ereur> en réponse à la circulaire Napol<éonienne> a été expédiée ces jours-ci. Elle est digne, sincère et pourtant évasive. J’ai appris que Morny, qui a pour spécialité d’être le partisan de la Russie, avait écrit ici — p<our> nous conjurer, au nom de notre intérêt, bien entendu, de ne pas nous refuser au congrès, disant que l’acceptation du congrès par la Russie était dans les vœux de tous ses véritables amis, comme la non-acceptation était tout l’espoir de ses adversaires. — On ne comprend pas qu’il y ait tant de niaiserie au fond de toute cette rouerie. En attendant on sait que Budberg n’a pas été compris dans les invitations de Compiègne. On a pris p<our> prétexte à cette omission la scarlatine qui règne dans sa maison.
Mais ceci me ramène à ta santé, à toi. Je n’ai pas besoin de te dire que j’en attends des nouvelles non sans quelqu’impatience. La mienne est à l’avenant de la saison. C’est tout dire. Dieu v<ou>s garde, ma fille.
Петербург. Воскресенье. 10 ноября
Моя милая дочь, только из твоего письма к графине Антуанетте Блудовой узнал я, что ты была больна, и хотя в этом письме ты сообщаешь, что теперь тебе лучше, это заверение не очень бы меня успокоило, если бы наш друг Щебальский не посетил меня сегодня утром и не рассказал о твоем здоровье как очевидец. Как все-таки меня печалит и огорчает твое здоровье, вернее сказать, ваше здоровье! — Не одна добрая фея побывала у вашей колыбели, но фея здоровья была, видно, занята где-то в другом месте.
Строки, которые я пишу, возможно, прибудут в Москву одновременно с Анной. Если вам удастся увидеться, поручаю вам обнять за меня друг друга. Я очень рад, что Анна возвращается. Мне не хватало ее, хотя когда она здесь, общество ее для меня, как правило, редко является реальностью. Это как в истории с человеком, который раз в неделю, кажется, по субботам, привык курить трубку и уверял, будто эта привычка стала столь неодолимой, что он был бы не в состоянии от нее отказаться.
Здесь мы более чем когда-либо поглощены тем, что занимает все умы — конгрессом. Момент этот — из самых значительных. Это ва-банк Наполеона по отношению к Европе. Он наверняка бы проиграл, если бы жалкая Европа не была тем, чем сейчас является. — Письмо государя в ответ на наполеоновский циркуляр отправлено на днях. Это ответ достойный, искренний и, вместе с тем, уклончивый. Я узнал, что Морни, чья специальность — быть сторонником России, писал сюда, заклиная нас, разумеется, в наших же интересах, не отказываться от участия в конгрессе, уверяя, что все подлинные друзья России уповают на ее согласие участвовать в нем, точно так же, как все ее противники надеются на ее несогласие. — Трудно понять, сколько идиотизма за всем этим цинизмом. Пока же известно, что Будберг не получил приглашения в Компьен. Предлогом для этого послужило то, что у него в семье скарлатина.
Но это возвращает меня к разговору о тебе, о твоем здоровье. Нет надобности говорить тебе, что я не без нетерпения жду известий о нем. Мое здоровье находится в соответствии с временем года. Этим все сказано. Да хранит тебя Бог, дочь моя.
Pétersbourg. Mercredi. 13 novembre
Voilà encore deux postes qui ne m’ont rien apporté. Mais au moins je sais par une lettre, que Dmitry a reçu hier de sa sœur, que tu n’es pas malade. C’est donc que tu ne te soucies pas de m’écrire. Eh bien, j’aime encore mieux cela.
Pauvre Dima et moi, nous sommes entièrement démoralisés. Il y a quelque temps vous parliez encore de votre retour comme d’une chose qui devait se faire à une date plus ou moins précise, mais rapprochée. La lettre d’hier ne dit plus rien à ce sujet et a même l’air de révoquer en doute l’ouverture prochaine de la fabrique. — Je commence à craindre que l’excellent Basile ne nous ait mis dedans. Ce que je vois de plus clair jusqu’à présent, c’est que cette bienheureuse a absorbé non seulement le capital, mais même le revenu courant. — Mais s’il en était ainsi, si, en effet, c’est le manque d’argent qui vous retint à la campagne, eh bien, je ne m’y résignerai pas, j’irai vous y rejoindre. Je me mépriserai trop de rester ici. — Quant à la question de la fabrique, je me persuade, de plus en plus, que nous aurions beaucoup mieux fait au lieu d’une fabrique de sucre d’établir une distillerie.
C’est ce soir, à 9 heures, que l’Impératrice est attendue à Tsarskoïé. — Anna voulait m’envoyer prévenir par le télégraphe de son arrivée. Il est donc probable que demain j’irai dîner chez elle. Aujourd’hui je devais dîner chez le P<rinc>e Gortchakoff. Mais au lieu de cela il se trouve que je dîne avec lui chez la Gr<ande>-Duchesse Hélène que je n’ai pas encore revue depuis son retour. Plus ils reviennent de monde, et plus le vide, qu’ils ne comblent pas, me devient sensible. Je suis très désireux d’avoir des nouvelles au sujet de ton frère. Que s’est-il passé dans la famille depuis leur rentrée à Munich? — Je t’envoie, ci-joint, une lettre de Maltitz, de fraîche date. Je me persuade que tu la liras avec plaisir, parce qu’elle m’en a fait. C’est comme le ranz des vaches, que ses lettres. Elles me donnent bien ces frissons du passé, dont il me parle, la dernière et la plus âpre des puissances. Maltitz me recommande dans sa lettre, comme tu le verras, de le mettre à tes pieds, ah, je ne demanderais pas mieux que de m’y mettre moi-même — mais comment?
Hier, mardi, soirée chez la Protassoff — qui m’a donné plus de mélancolie encore que d’ennui — c’est tout dire.
Je me résume, en répétant ce que j’ai déjà dit: Voilà une fin d’existence bien malarrangée.
Maintenant je passe à Marie. — Voilà, ma fille chérie, quelques rimes que je vous envoie, et je ne vous les envoie que parce qu’elles font beaucoup de bruit en ce moment à Pétersbourg. Vous en devinerez l’auteur, si vous le pouvez. Elles ont été adressées au Prince Souvoroff, voici à quelle occasion. Tu sais que pour le St-Michel nous avons envoyé à Mouravieff un haut-relief en vermeil représent<ant> son patron — accompagné d’une adresse, signée de 80 noms, au nombre desquels se trouvent les Bloudoff, la Comtesse Protassoff, sa sœur la Dolgorouky, etc. etc., en un mot des noms très bien portés. Or il faut que tu saches que le Prince S<ouvoroff>, qui est assurément une bonne pâte d’homme, mais absurde, s’est depuis longtemps déclaré l’adversaire acharné de M<ouravieff> et ne laisse échapper aucune occasion de déblatérer. Aussi n’a-t-il pas manqué de déclarer qu’il rompait tout commerce avec les personnes qui ont eu l’indignité de signer la dite lettre. Il a, il est vrai, le privilège de pareilles incartades. Mais comme cette fois-ci il y a en jeu un intérêt public d’une incontestable gravité, l’incartade a été relevée — et lui a valu les rimes que tu vas lire.